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Par Marie Ndenga Hagbe, pour Survival International France

Décoloniser nos imaginaires pour sauver la nature

Par Marie Ndenga Hagbe, pour Survival International France

 

Lorsque je présente les campagnes de Survival à un auditoire composé de personnes non autochtones et vivant plutôt en milieu urbain, je m’amuse souvent à faire un petit jeu. Celui-ci consiste à demander aux personnes de fermer les yeux et d’imaginer une jungle indienne, une savane ou une forêt africaine et de décrire ce que chacun voit. J’invite ici les lecteurs et lectrices à faire de même. Prenez quelques secondes, fermez les yeux et imaginez. Les réponses comportent souvent – l’ordre variant, bien entendu– baobabs, lions, steppes, gazelles, éléphants, zèbres, girafes, tigres et toute autre faune et flore que l’on peut trouver dans ces différents environnements. Mais dans 99,9 % des cas, il manque un élément essentiel : l’humain. Pourtant, tous les paysages que nous pensons « sauvages » – l’Amazonie, le bassin du Congo, etc. – sont façonnés et gérés par des humains depuis des milliers d’années. De même, les preuves scientifiques qui montrent que les peuples autochtones comprennent et gèrent leur environnement mieux que quiconque ne manquent pas : 80 % de la biodiversité de la Terre se trouvent dans les territoires autochtones. Alors comment se fait-il que la majorité des personnes occidentales imagine l’humain et la nature comme séparés ? Pire, pourquoi voyons-nous les humains comme un virus pour la planète ?

 


Nature vierge et sauvage

Pour comprendre cela, il faut remonter à la fin du XIX e siècle et à la création des premiers parcs nationaux aux États-Unis. Ces parcs ont été fondés sur l’idée que la nature ne peut être sauvée que si elle est vierge et sauvage. Les peuples autochtones qui vivaient et avaient pris soin de ces espaces en ont donc été expulsés. Le mythe de la wilderness – la nature vierge en français – est né. Un mythe puisque, comme l’a dit le Chef Luther Standing Bear : « Il n’y a que pour l’homme blanc que la nature était sauvage ». Ce mythe a pourtant donné naissance à un modèle de conservation, la « conservation-forteresse », qui est encore aujourd’hui le modèle de conservation dominant, notamment en Afrique et en Asie. Les humains ne seraient que des éléments destructeurs et, pour protéger la nature, il faudrait créer des aires protégées militarisées sur les terres des peuples autochtones. Ces mêmes aires sont en revanche accessibles aux plus aisés dans le cadre du tourisme ou de la chasse aux trophées. Les peuples autochtones, quant à eux, sont battus, torturés, violés, voire tués s’ils tentent de retourner sur leurs terres pour chasser, cueillir des plantes médicinales ou se rendre sur leurs sites sacrés. Cette « conservation » détruit les terres et les vies des peuples autochtones. Pourtant, c’est là qu’est dirigée la majeure partie des fonds occidentaux destinés à la protection de la nature. Pourquoi ? Parce que les idées reçues qui entretiennent ce mythe sont perpétuées partout. Dans les manuels scolaires, les médias, les publicités d’ONG, les documentaires animaliers, les romans, mais aussi les dessins animés dont l’exemple le plus connu est Le Roi lion.

 


Décoloniser le langage
Depuis l’enfance, la manière dont nous pensons « l’humain » et son rapport à la nature est façonnée par ces images et les mots qui les accompagnent. Ils sont loin d’être neutres ou scientifiques et influencent directement notre façon de penser, nos politiques et nos actions. Et ces dernières sont bien souvent néfastes à la fois pour les populations autochtones et locales, et pour l’environnement. Il est primordial, si nous voulons mettre fin à un modèle dominant de conservation de la nature coloniale et raciste, de réfléchir aux mots qui sont utilisés et à leur sens. C’est ce que nous avons voulu faire, à Survival, en créant un Guide pour décoloniser le langage de la conservation . Ce guide est loin d’être exhaustif, mais se veut une première piste de réflexion pour transformer nos imaginaires et permettre la création d’un nouveau modèle de conservation efficace dont les peuples autochtones ne sont plus victimes, mais dans lequel leurs droits sont centraux. Ce guide analyse aussi les solutions poussées par des gouvernements, de grandes organisations de conservation de la nature et des entreprises, notamment lors des grandes réunions sur le climat ou la biodiversité comme les COP. Sur les réseaux sociaux, nous avons, à travers notre initiative « Décoloniser la COP15 », analysé chacune des soi-disant solutions poussées lors du sommet. Nous avons montré comment, en se cachant derrière le « bien commun », elles détournent l’attention des vraies causes de la perte de biodiversité et de la crise climatique, à savoir l’exploitation des ressources à des fins lucratives et la surconsommation croissante poussée par les pays du Nord. L’objectif de transformer 30 % de la Terre en aires protégées, la compensation carbone dans les territoires autochtones ou encore les « Solutions fondées sur la nature » sont autant de fausses solutions poussées par les pays industrialisés qui font payer le prix de la crise climatique aux peuples autochtones, qui en sont pourtant les moins responsables. C’est le cas au Kenya, où des crédits-carbone sont vendus alors qu’ils ont été générés sur les terres de peuples autochtones dont les droits humains ont été violés. En Indonésie, où l’extraction de nickel pour fabriquer les batteries de voitures électriques menace la survie d’un peuple non contacté. En Inde, où les peuples Adivasis sont expulsés pour créer des réserves de tigres. Et la liste pourrait se poursuivre. Partout dans le monde, des « projets » verts ne respectent pas le consentement libre, informé et préalable des peuples autochtones. Ces solutions perpétuent la spoliation des terres des peuples autochtones. C’est une nouvelle forme de colonialisme : le colonialisme vert. Quiconque se soucie réellement de la planète doit cesser de soutenir toute forme de « conservation » qui blesse, aliène et détruit les peuples autochtones, les meilleurs alliés de l’environnement. Depuis plus de trente ans, Survival lutte aux côtés des peuples autochtones contre les atrocités commises au nom de la « conservation ». Rejoignez, vous aussi, le mouvement pour défendre une nouvelle approche où les peuples autochtones et leurs droits ont une place centrale.
Pour les peuples autochtones, la nature et toute l’humanité.


+ Crédit photo en-tête d’article : Le gouverneur britannique Sir Hesketh Bell au milieu de ses trophées de chasse. Ouganda 1908. CC DP 

 

A lire : 

Fiore Longo, Décolonisons la protection de la nature, Double ponctuation, 2023.
Fiore Longo, directrice de Survival France, sera en interview dans Natives 13.

 

Rendez-vous sur  www.survivalinternational.fr 

Pour toute question: info@survivalinternational.fr 


1 https://www.survivalinternational.fr/sur/decolonisonslelangage

 

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