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Sara Flores : du cœur de l’Amazonie à la Biennale de Venise



Sara Flores, artiste shipibo-konibo originaire de l’Amazonie péruvienne, a été sélectionnée pour représenter le Pérou à la 61ᵉ Biennale de Venise. Reconnue pour la profondeur symbolique et spirituelle de son œuvre, elle s’impose comme l’une des voix majeures de l’art contemporain amazonien. Son exposition, intitulée « Sara Flores. From Other Worlds », occupera le pavillon péruvien lors de la prochaine édition de la Biennale, qui ouvrira ses portes en mai 2026.



Un langage visuel enraciné dans le savoir ancestral
Née en 1950 dans la communauté de Tambomayo, au cœur de la forêt amazonienne, Sara Flores, de son nom autochtone Soi Biri (qui signifie « bien fait » ou « précisément dessiné »), appartient au peuple Shipibo-Konibo, dont elle incarne la mémoire et la transmission artistique. Son œuvre s’inscrit dans la tradition du Kené, un système visuel complexe composé de motifs géométriques et organiques, porteur d’une cosmologie où s’entrelacent corps, nature et cosmos. Les Kené ne sont pas de simples décorations : ils représentent des cartes du savoir. Chaque ligne, chaque entrelacement, répond à un réseau de significations spirituelles et écologiques qui exprime l’harmonie entre l’humain et son environnement. Pour Sara : « le Kené est une manière de voir et de ressentir le monde ». Elle utilise des tissus traditionnels (tucuyo, coton sauvage) et des teintes végétales tirées de la flore amazonienne : chaque pigment, chaque nuance est le fruit d’un lien direct avec le territoire. Elle travaille en collaboration intergénérationnelle, souvent avec ses filles, perpétuant une transmission matrilinéaire des motifs, tout en innovant par de nouveaux agencements, l’intégration de motifs botaniques, des œuvres filmées et des installations. Ses kené sont entièrement faits à la main. À travers cette matérialité vivante, elle fait dialoguer mémoire, territoire et spiritualité, tout en s’inscrivant dans une réflexion contemporaine sur la durabilité et la reconnexion au vivant.



Sara Flores ©Galerie White Cube


 Un projet pour réinventer les dialogues
Le projet Sara Flores. From Other Worlds, conçu par les commissaires Issela Ccoyllo et Matteo Norzi, est une véritable exploration de la portée universelle des pratiques visuelles autochtones. Il met en lumière la force esthétique et épistémologique d’un art qui ne se conforme pas aux canons occidentaux, mais entre en dialogue critique avec eux, depuis une expérience communautaire profondément enracinée. Ce projet entend ouvrir un espace de réflexion sur les limites de l’art contemporain et sur la nécessité de décoloniser les regards. Il interroge les cadres historiques qui ont marginalisé les expressions autochtones, longtemps reléguées aux marges de la modernité artistique. En plaçant Sara Flores au centre du pavillon péruvien, le Pérou semble vouloir affirmer la paternité autochtone comme un pilier du débat mondial sur la durabilité, la justice environnemental et la diversité culturelle.


Reconnaissance politique et spirituelle
La sélection de Sara Flores à la Biennale de Venise revêt une dimension symbolique et collective pour le peuple Shipibo-Konibo. Le Conseil Shipibo-Konibo-Xetebo (COSHIKOX), qui soutient l’artiste, a salué cette nomination comme une victoire culturelle et identitaire. « Cette réalisation symbolise la force et l’esprit collectif de notre nation Shipibo-Konibo-Xetebo. Grâce au travail de Sara Flores, la voix de notre culture vivante sera entendue à Venise – une culture qui continue de défendre son territoire, son identité et son savoir ancestral. La Biennale servira de plateforme à la diplomatie culturelle, pour attirer l’attention sur les défis auxquels notre territoire est confronté et pour affirmer que les modes de vie des peuples autochtones n’appartiennent pas au passé, mais à l’avenir de l’humanité », a déclaré Lizardo Cauper Pezo, président du COSHIKOX. L’organisation a également réaffirmé son engagement à soutenir les artistes autochtones : « COSHIKOX réaffirme son engagement à unir le peuple en tant que nation autochtone, convaincu que l’art est aussi un moyen de créer une identité collective, de résistance, de guérison et de construire un monde plus juste et plus harmonieux ».


Untitled (Shao Maya Pei Kené, 2025) ©Galerie White Cube


Une présence qui transforme le regard

La participation de Sara Flores à la Biennale de Venise n’est pas seulement une consécration artistique : elle marque un changement de paradigme dans la manière dont le monde perçoit les savoirs autochtones. Ses œuvres, qui vibrent d’une énergie à la fois intime et cosmique, invitent à repenser notre rapport à la nature et à la connaissance. From Other Worlds est à la fois une proposition artistique et une invitation à écouter d’autres manières d’habiter le monde. En révélant la puissance créatrice du Kené, Sara Flores offre un pont entre les traditions spirituelles amazoniennes et les questionnements globaux de notre époque : comment vivre en équilibre avec le vivant, comment soigner la mémoire du monde ?




En 2026, le pavillon péruvien à la Biennale de Venise portera les couleurs et les formes du fleuve Ucayali, les chants silencieux de la forêt et la vision d’une femme qui peint les lien invisibles entre les êtres. Sara Flores n’expose pas seulement des œuvres : elle partage une vision du monde, un langage de résistance et de beauté, où l’art devient une forme de connaissance vivante


Jessica Baucher


* Pour aller plus loin :
Sara Flores au White Cube Bermondsey


+ Crédit photo en-tête d’article : ©Galerie White Cube – Paris



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