Signé le 12 juillet 2025 à Bougival, l’accord sur l’avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie acte la création d’un « État calédonien » au sein de la République française. Il introduit une nationalité locale, des transferts de compétences, une réforme électorale et un pacte économique ambitieux. Si le gouvernement y voit une avancée historique vers la paix, de nombreux Kanak et certains observateurs y perçoivent un compromis flou, voire une dénaturation du droit à l’autodétermination.
◆ Un virage politique et institutionnel majeur
Fruit de longues négociations entre l’État, les représentants loyalistes et indépendantistes, cet accord ouvre une nouvelle ère politique en Nouvelle-Calédonie. Il vise à dépasser l’opposition binaire entre maintien dans la France et indépendance totale. Le cœur du texte repose sur six piliers principaux :
1. Création d’un État de la Nouvelle-Calédonie
La Nouvelle-Calédonie deviendrait un État “sui generis” inscrit dans la Constitution française, disposant d’un statut inédit au sein de la République. Ce nouvel État pourra faire l’objet d’une reconnaissance internationale, tout en restant rattaché à la souveraineté française.
2. Nationalité calédonienne
Une double nationalité sera introduite : française et calédonienne. Elle sera accordée selon des critères spécifiques (résidence longue, filiation, inscription électorale…). Cette mesure vise à reconnaître l’identité locale tout en maintenant le lien à la République.
3. Transferts progressifs de compétences
Cet accord prévoit le transfert progressif de compétences régaliennes : justice, sécurité, diplomatie, voire monnaie, après approbation du Congrès calédonien. La France les conserve dans un premier temps, mais s’engage à associer davantage les institutions locales.
4. Réforme du corps électoral
Le droit de vote aux élections provinciales sera étendu aux personnes nées en Nouvelle-Calédonie ou y résidant depuis au moins 15 ans. Cela pourrait intégrer environ 12 000 électeurs supplémentaires et donc relancer le débat sur la représentation des Kanak dans les institutions.
5. Nouvelle loi fondamentale calédonienne
Une loi fondamentale locale, votée à la majorité des 3/5 par le Congrès, définira le fonctionnement de l’État calédonien : ses symboles (drapeau, hymne), ses valeurs (républicaines, kanak, océaniennes), un code de citoyenneté, ainsi que l’organisation du Congrès (56 membres, réforme du scrutin, équilibre entre provinces…).
6. Pacte de refondation économique et sociale
Un pacte de relance économique accompagne la réforme institutionnelle. Il prévoit un redressement des finances publiques, une relance de l’industrie du nickel, un développement des politiques publiques (santé, logement, jeunesse, transport) et la création d’emplois locaux.

◆ Des doutes profonds chez les militants indépendantistes kanak
Malgré l’enthousiasme affiché à Paris, une partie importante de la base indépendantiste kanak exprime une forte méfiance. Si le FLNKS institutionnel a participé à l’accord, de nombreux jeunes militants, collectifs de terrain et organisations dénoncent un texte jugé trop flou, trop favorable à l’État, et ne garantissant ni une souveraineté réelle, ni une réparation historique.
Ils regrettent que le droit à l’indépendance, pourtant inscrit dans l’Accord de Nouméa, soit transformé en un “partenariat durable” sans perspective claire de sortie de la République. L’introduction d’une nationalité calédonienne est saluée, mais jugée insuffisante sans transfert complet de souveraineté. De plus, la réforme du corps électoral est perçue comme une menace directe sur le poids politique du peuple autochtone.
◆ Le cas sensible des leaders indépendantistes détenus
Parallèlement, le sort de plusieurs leaders indépendantistes incarcérés en métropole, notamment Christian Tein, pèse lourdement sur le climat politique. Transférés hors du territoire après les émeutes de 2024, ils sont devenus en quelque sorte des prisonniers politiques.
Libéré sous contrôle judiciaire en juin 2025, Christian Tein a exprimé sa colère face à un accord signé sans que justice n’ait été rendue aux militants kanak. Il exige que tout processus de réconciliation passe par la reconnaissance du peuple et la libération des détenus, faute de quoi l’accord perdrait toute légitimité dans les cœurs de nombreux indépendantistes.
◆ Des réactions politiques contrastées
Emmanuel Macron salue « un pari de la confiance entre la République et un peuple qui aspire à plus de reconnaissance » . Les loyalistes saluent de leur côté, un accord qui maintient le lien à la France et garantit la stabilité institutionnelle. Les indépendantistes institutionnels parlent, eux, d’ un compromis exigeant mais nécessaire . Des figures de l’opposition (Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen) dénoncent, elles, un statut ambigu, source d’insécurité juridique ou de précédent politique. Des juristes mettent d’ores et déjà en garde sur un risque de conflit avec le cadre constitutionnel actuel.

L’accord de Bougival du 12 juillet 2025 marque une transformation profonde de la Nouvelle-Calédonie . Il pose les bases d’un état calédonien, introduit une nationalité locale, amorce une évolution progressive de compétences (la Nouvelle-Calédonie recevra, petit à petit, plus d’autonomie en gérant elle-même des domaines auparavant contrôlés par l’État central), et propose une relance économique ambitieuse. Son succès dépendra d’un triple défi : l’adhésion populaire, la mise en œuvre efficace des engagements, et la capacité à reconstruire une confiance réelle entre l’État, les loyalistes et le peuple kanak…

« Si l’accord oublie notre souffrance et notre histoire, alors il n’est qu’un silence imposé sous une nouvelle forme », Christian Tein, leader indépendantiste kanak
Jessica Baucher
+ Crédit photo en-tête d’article : ©Pixabay
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