En Australie, à l’occasion de l’événement NAIDOC Week 2025, placé sous le thème « The next Generation : Strength, Vision & Legacy », le chef aborigène Chris Jordan incarne cette volonté de transmission culturelle. À travers la cuisine, il reconnecte les jeunes autochtones à leurs racines et lutte pour une industrie alimentaire plus inclusive et durable.
◆ Un héritage à transmettre, une culture à raviver
La Semaine NAIDOC (Comité national de célébration de la Journée des aborigènes et des insulaires) célèbre cette année son 50e anniversaire et met à l’honneur les jeunes générations autochtones , leur force, leur vision et l’importance de l’héritage culturel . Pour Chris Jordan , chef Koori basé à Brisbane, ce thème prend une résonance toute particulière . Ayant grandi dans le nord de la Nouvelle-Galles du Sud, loin de son héritage Kamilaroi , il a cependant décidé d’en faire le cœur de sa mission de vie : transmettre la culture aborigène par la cuisine .
Devant un petit grill en plein air, il enseigne à des jeunes apprentis l’art de fumer le mulet, un poisson traditionnel . Ce geste simple cache un projet plus vaste : reconnecter une génération à son identité à travers des saveurs oubliées . « Il est vraiment important de transmettre ces connaissances à une jeune génération, en particulier dans le secteur alimentaire, car il n’y a pas beaucoup de représentation de chefs des Premières Nations utilisant des aliments des Premières Nations », affirme-t- il avec conviction.

◆ Résilience
Cris Jordan, ce chemin est aussi personnel. Longtemps coupé de son histoire, il découvre progressivement ses origines grâce à sa grand-mère, qui lui confie qu’on lui avait conseillé de prétendre être italienne, par honte de ses racines. Ce silence familial, il l’a brisé avec fierté. Il nomme son entreprise de restauration « Three Little Birds », en hommage à son père disparu, réfugié d’ex-Yougoslavie, et à leur lien par la musique de Bob Marley.
Sa reconversion, entamée après un séjour à Londres et un retour à la sobriété, est marquée par une rencontre déterminante avec tante Dale Chapman, cheffe et éducatrice renommée, qui l’initie aux savoirs traditionnels. « Je suis extrêmement fière ! Il a propulsé les ingrédients australiens vers un niveau supérieur, et pouvoir le partager avec les jeunes est essentiel, car ils représentent notre avenir », a-t-elle déclaré avec émotion.
◆ Un combat économique et environnemental
Transmettre, c’est aussi défendre une justice économique. Malgré une industrie des aliments de brousse évaluée à plus de 80 millions de dollars, moins de 3 % appartiennent aux Aborigènes et aux insulaires du détroit de Torres. Pour Chris Jordan, cette situation doit changer : « Nous devons veiller à ce que l’argent revienne à la communauté » Il collabore avec des structures comme Food Connect Shed à Brisbane, où l’intégration des ingrédients autochtones devient un objectif collectif.
Cette démarche rejoint les préoccupations environnementales, car les plantes natives nécessitent peu d’eau ou de produits chimiques. Le Dr Frances Wyld, universitaire, rappelle que « ce sont les aliments qui ont nourri les peuples aborigènes pendant 60 000 ans », et qu’ils représentent une alternative durable aux produits importés.
◆ Un espoir pour la jeunesse autochtone
Chris n’enseigne pas seulement dans des cuisines professionnelles. Il anime aussi des ateliers en centres de détention pour mineurs, pour tendre la main à ceux qui, comme lui, ont connu des chemins de vie difficiles. Pour lui, la cuisine n’est pas qu’un métier mais aussi un outil de guérison, de fierté et de reconstruction. « Partager mon expérience et comment cela m’a sauvé la vie, je pense que c’est un message vraiment fort », confie-t-il.

À l’image du thème de cette NAIDOC Week, Chris Jordan prouve qu’il est possible de faire renaître un lien culturel fort à travers la cuisine. En formant les jeunes, en défendant les producteurs autochtones, et en reconnectant des identités oubliées, il bâtit un nouvel avenir dans lequel tradition et innovation se rencontrent dans chaque assiette. Sa démarche est profondément nourrie par un principe simple, mais essentiel : la transmission
« Dans notre culture, chaque fois que nous recevons un cadeau de nourriture… nous disons que cela prolonge notre vie. Et en acceptant cette nourriture, nous prononçons une prière pour que les bienfaits de ce don se multiplient dans la vie de la personne qui l’a offert »,
Bear Heart (alias Marcellus Williams)
Jessica Baucher
*Retrouvez nos précédents articles sur l’engagement des chefs cuisiniers autochtones :
Sikwa… ou comment sauver la culture grâce à la nourriture ancestrale !
Changer le monde avec un tartare de bison de la rivière Cheyenne…
+ Crédit photo en-tête d’article : ©Chris Jordan website – Three Little Birds
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