Héritiers de civilisations millénaires, les peuples autochtones d’Amazonie protègeaient leurs terres bien avant la création des États modernes. Aujourd’hui, face à la recrudescence des activités illégales et de la violence, leurs gardes indigènes se coordonnent à l’échelle régionale pour préserver un mode de vie ancestral menacé.
◆ Une alliance transfrontalière enracinée dans l’histoire
Début décembre, environ 200 représentants de communautés autochtones d’Équateur, de Colombie et du Pérou se sont réunis à Sinangoe, sur le territoire d’une communauté amazonienne équatorienne située à la frontière colombienne. Objectif : élaborer une stratégie commune de défense de territoires ancestraux transmis de génération en génération, bien avant l’arrivée des colons européens et la délimitation des frontières nationales. Pour ces peuples, la forêt amazonienne n’est pas seulement un espace naturel : elle constitue le socle de leur histoire, de leur spiritualité et de leur organisation sociale. Les rituels d’ouverture, comme le partage de la sève du yoco (plante ancestrale utilisée pour renforcer l’énergie et la vigilance), et la purification au tabac et aux feuilles d’ortie, ont rappelé la continuité de pratiques culturelles anciennes, toujours au cœur des mobilisations actuelles. Depuis des millénaires, les communautés amazoniennes ont développé des systèmes de gouvernance collective et de gestion durable des ressources mais la colonisation, puis l’expansion de l’économie extractive au XXᵉ siècle, ont profondément fragilisé ces équilibres. Aujourd’hui encore, malgré les engagements internationaux en faveur du climat et de la biodiversité, les peuples autochtones constatent sur le terrain un décalage persistant entre les promesses et leur mise en œuvre.

◆ Héritiiers d’une défense communautaire ancestrale
Face à l’intensification des menaces : exploitation minière et forestière illégale, trafic de drogue, présence de groupes armés, recrutements forcés et extorsions, les peuples autochtones ont renforcé leurs mécanismes d’autodéfense communautaire, connus sous le nom de Gardes indigènes. Ces structures s’inscrivent dans la continuité de formes traditionnelles de protection du territoire. À Sinangoe, la Garde indigène du peuple A’i Cofan lutte depuis 2017 contre l’exploitation minière à grande échelle afin de préserver le fleuve Aguarico, principale source de nourriture et pilier de leur identité culturelle. Pacifiste, cette garde privilégie la surveillance et les patrouilles territoriales, évitant les affrontements : « Le travail de la garde demande un engagement quotidien », explique Holger Quenama, coordinateur de la Garde indigène A’i Cofan. Lorsque les situations dépassent leurs capacités, la communauté sollicite ponctuellement l’appui des forces armées. Une vigilance constante, renforcée par le sentiment que les protections promises au niveau international tardent à se traduire concrètement sur le terrain.

◆ Une mobilisation régionale face aux limites des engagements internationaux
Cette dynamique dépasse les frontières équatoriennes. Au Pérou, le peuple Shipibo-Konibo, historiquement installé le long des rivières amazoniennes et porteur d’une riche tradition culturelle, a structuré des gardes indigènes capables de freiner la pêche illégale et les invasions territoriales. Le pays compte aujourd’hui près de 300 gardes indigènes répartis dans 24 communautés Shipibo-Konibo. Pour nombre de ces communautés, la mobilisation locale apparaît comme un prolongement nécessaire des débats internationaux sur le climat. Si la reconnaissance croissante du rôle des peuples autochtones dans la protection des forêts est saluée, l’absence de mesures contraignantes suffisantes contre l’exploitation des ressources et la déforestation renforce leur conviction qu’ils restent les seuls et derniers remparts de leurs territoires.
À travers l’Amazonie, les gardes indigènes incarnent une mémoire vivante et une réponse concrète aux limites des politiques climatiques globales. En unissant leurs forces au-delà des frontières, les peuples autochtones rappellent que la protection de la forêt ne se joue pas seulement dans les sommets internationaux, mais aussi, et surtout dans les territoires qu’ils habitent et défendent depuis des siècles.
« Dans la pensée shipibo, tout vient de la Terre mère : la forêt, les plantes et les animaux forment une seule maison sacrée. Sans cette harmonie avec le monde vivant, nous ne sommes rien ; c’est dans cette communion que se trouve la sagesse et la force de notre peuple », pensée Shipibo-Konibo.
Jessica Baucher
+ Crédit photo en-tête d’article : ©Franssy Acosta – Pexel



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