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En Colombie, la communauté autochtone des Emberá Dobida est en souffrance


En Colombie, les communautés autochtones sont plus affectées par les suicides que le reste de la population. Le photographe Santiago Mesa a voulu rendre compte de la tragédie que vit la population Emberá, particulièrement touchée. Sa série « Jaidë » a été primée au dernier World Press Photo.


Santiago Mesa est un photographe documentaire de Medellín, en Colombie, dont le travail explore, entre autres, les problèmes sociaux, les inégalités et la violence. Sa série « Jaidë », primée au concours World Press Photo 2025, suit le parcours des femmes Emberá touchées par la violence et la crise, attirant l’attention et l’empathie sur la dure réalité de ce groupe.



◆ Les Emberá Dobida

Les Emberá Dobida sont un peuple autochtone nomade de Colombie qui habite historiquement une région autour du fleuve Bojayá. Cette communauté a particulièrement souffert au cours de la dernière décennie à cause de la guerre civile qui sévit en Colombie (entre armée, guérillas, groupes paramilitaires et narcotrafiquants) et de la perte des moyens de subsistance. Nombre d’entre eux ont migré vers Bogotá, victimes de déplacements forcés pour échapper à cette violence. Dans la capitale, ils sont confrontés à la discrimination et à la marginalisation, vivant dans des conditions de surpopulation et d’insécurité qui exacerbent leur sentiment de désespoir, entraînant une augmentation inquiétante des suicides. On dénombre environ 4 000 Emberás qui vivent dans une surpopulation extrême dans des quartiers comme le Parque Nacional, La Rioja et le Parque La Florida. Le bâtiment de La Rioja, prévu pour 120 personnes, en abrite plus de 1 200.




©Santiago Mesa


Une tragédie silencieuse
Les suicides au sein des communautés autochtones ont atteint des niveaux alarmants : selon l’UNICEF, le taux est 40 fois plus élevé que dans la population générale, avec un impact particulier sur le peuple Emberá du département du Chocó (nord-ouest du pays), passant de 15 cas entre 2015 et 2020 à 67 suicides et plus de 400 tentatives en 2024, selon l’église de Bellavista à Bojayá. Bien que les organisations humanitaires aient tiré la sonnette d’alarme, la réponse de l’État reste limitée. Le manque d’accès aux soins psychologiques, combiné aux conditions précaires dans lesquelles vivent nombre de ces familles, rend urgente une intervention globale. Sans oublier qu’ici également le genre est un facteur aggravant selon le photographe : “Malheureusement, le machisme est encore bien présent, et beaucoup des personnes qui se suicident ou font une tentative de suicide sont des jeunes femmes victimes de violences conjugales.”




Le reportage de Mesa se déroule dans deux petites communautés du Chocó où vivent quelques centaines d’habitants. Il évoque la vie de Yadira Birry, une adolescente de 16 ans qui s’est suicidée, et de Liria Cheito, qui a survécu à une tentative de suicide le même jour que Yadira, à Bojayá. Ainsi que celle de Jessi et Ahitana, deux femmes Emberá déplacées à Bogotá. Les images très marquantes illustrent l’intense douleur et le désespoir qui règnent dans ces communautés. « Jaidë », le titre qu’il a donné à son projet, signifie « maison des esprits » dans la langue de ce peuple qui estime que parfois, des esprits viennent les hanter et les poussent au désespoir . « Les Emberá conservent des coutumes qui leur sont propres, mais sont largement évangélisés. L’Église catholique n’a pas eu qu’un rôle positif, néanmoins c’est l’une des rares institutions qui se préoccupe de leur sort, mène des actions ponctuelles d’aide alimentaire et médicale. » Et les paroisses font un important travail statistique.




En documentant le vécu des femmes Emberá, Santiago Mesa témoigne à la fois de leur souffrance et de leur résilience. Et souhaite favoriser la compréhension et la recherche de solutions à cette crise persistante. Jaidë n’est pas qu’un travail d’images : chaque portrait s’accompagne d’un entretien, soigneusement consigné sous la forme d’un témoignage.



L’exposition World Press Photo Montréal est ouverte jusqu’au 13 octobre 2025 inclus.
Marché Bonsecours
325, rue de la Commune Est
Vieux-Montréal

Pour aller plus loin : le site de l’exposition


Brigitte Postel




+ Crédit photo en-tête d’article : ©Santiago Mesa



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