Quand un film s’empare d’un nom oublié de l’Histoire pour en faire un cri de liberté, il ne se contente pas d’illustrer le passé : il transforme notre regard. Avec Furcy, né libre, Abd al Malik s’attaque à un pan de la mémoire coloniale française resté trop longtemps sous silence. Le combat judiciaire d’un homme né libre mais maintenu en esclavage donne l’opportunité d’un questionnement contemporain plus poussé. En salles le 14 janvier 2026, il s’annonce comme une œuvre qui interroge autant qu’elle émeut.
◆ Un destin méconnu
Raconter l’histoire de Furcy Madeleine, c’est entrer dans les zones d’ombre d’une histoire coloniale française qui n’a jamais été tout à fait revue. En 1817, sur l’île de La Réunion (alors île Bourbon) Furcy découvre que sa mère, née dans un comptoir français en Inde, avait été affranchie avant sa naissance. Il aurait donc dû être libre. Au lieu de cela, on l’a maintenu en esclavage. Ce qu’il décide alors relève de l’impensable pour l’époque : saisir la justice ! « Furcy aurait pu choisir le marronnage, la violence, mais il s’accroche au droit et gagne », souligne Abd al Malik. Ce geste, presque impossible dans un système entièrement bâti pour taire la parole des esclaves, devient un acte de courage et un cas unique dans l’histoire judiciaire française. Son procès, qui durera près de 27 ans, expose les contradictions, les hypocrisies et les violences structurelles d’un système esclavagiste soutenu, légitimé et protégé par l’administration coloniale française. Le long métrage s’appuie sur une documentation historique solide : comme « une matière dense, volontairement restituée avec exactitude et pudeur ».

◆ Le cinéma engagé d’Abd al Malik
Abd al Malik (dont le nom signifie « serviteur de Dieu ») n’est pas seulement le réalisateur de Furcy, né libre mais aussi un artiste pluridisciplinaire, à la fois musicien, écrivain et metteur en scène, dont l’œuvre explore l’histoire, la mémoire et l’identité. Né à Strasbourg en 1975 dans une famille congolaise, il grandit dans un quartier populaire où il prend conscience des héritages coloniaux et des fractures sociales, thèmes qui traversent toute sa création. Reconnu pour ses albums et spectacles mêlant poésie, engagement social et réflexion sur la France contemporaine, il a également écrit plusieurs livres, dont Qu’Allah bénisse la France, qui mêle autobiographie et mémoire collective.
Dans Furcy, né libre, il transpose cette démarche au cinéma, en donnant vie à un récit colonial méconnu qui questionne toujours : « Aujourd’hui on peut prendre plein d’autres histoires qui n’ont pas directement à voir avec le propos de mon film, mais c’est le même cheminement intellectuel, la même problématique philosophique ». Sa mise en scène privilégie les visages, les silences et les nuances, transformant l’histoire en un espace de réflexion sur la liberté et la dignité humaine. Le scénario d’Étienne Comar, librement adapté du livre L’Affaire de l’esclave Furcy de Mohammed Aïssaoui (prix Renaudot Essai 2010), cherche l’équilibre entre la dureté de l’injustice et le respect de la dignité des personnages.

◆ Un système mis à nu
L’un des apports les plus intéressants du film est son refus de simplifier la violence coloniale. Abd al Malik insiste sur cette dimension : « Montrer le système plutôt que la fable, la mécanique plutôt que le mythe » ! Le film décortique ainsi : les contradictions du Code Noir, les manipulations juridiques utilisées pour maintenir la hiérarchie raciale, la brutalité sociale masquée par le vernis administratif, et l’incroyable énergie qu’il fallait pour simplement réclamer son droit. « Non seulement il y a dans le film un travail de contestation, mais aussi de déconstruction avec les outils mêmes de l’oppresseur ou du colon ! Le code noir, ce n’est pas une vue de l’esprit, c’était quelque chose de vrai, de concret, et c’était même un argument puissant pour certains », précise Malik. En replaçant Furcy dans ce contexte, il montre ainsi la colonisation telle qu’elle fut réellement : un système avant d’être une succession d’histoires individuelles.

◆ Une résistance qui traverse les corps
L’un des gestes les plus forts du film tient à la place qu’y occupent la musique, le rythme et la langue créole comme armes de survie et de résistance. Abd al Malik ouvre le film sur un chant de Danyel Waro, immense voix réunionnaise, dont le maloya fut longtemps interdit dans les colonies françaises. « Que ce soit dans les Caraïbes ou dans les différentes colonies, il était interdit de parler la langue créole et par conséquent de la chanter », rappelle le réalisateur.
La bande originale composée par son frère Bilal prolonge cette dimension. Une musique scandée, presque martiale, qui épouse « le tempo d’une bataille », nourrie de traditions de griots, de rappeurs, de conteurs, ceux qui, par le rythme, transmettent une mémoire quand les archives sont confisquées. Cette scansion donne au film une pulsation organique comme un long manifeste musical…
Furcy, né libre rappelle à quel point certaines vérités, pourtant documentées, sont longtemps restées en marge des récits officiels. Raconter l’histoire de Furcy en 2025, c’est non seulement exhumer une figure oubliée, mais aussi tendre un miroir à nos sociétés contemporaines, avec leurs héritages, leurs fractures et leurs luttes. C’est également l’occasion de replacer la colonisation au centre du récit, en tant que structure politique, économique et culturelle qui a façonné durablement les sociétés françaises et ultramarines..
« Comment aujourd’hui, en tant que Français et Européens, peut-on regarder toute notre histoire, même la plus sombre, même la plus obscure, la regarder droit dans les yeux ? Et se demander en quoi une histoire comme celle de Furcy, peut nous servir à notre époque à travailler à la réconciliation, à faire peuple, à faire France, à faire Europe, et c’est ça qui m’intéresse. »,
Abd al Malik
Jessica Baucher
En salles le 14 janvier 2026
Photo en tête d’article : Furcy, né libre©Julien Panie – Memento films



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