On Country : Photographie d’Australie est une exposition historique : il s’agit de la première mise en lumière régionale de la photographie australienne aux 56ème Rencontres de la photographie d’Arles 2025, rassemblant artistes autochtones et non-autochtones.
Organisée par Photo Australia (biennale photographique basée à Melbourne) en collaboration avec la conservatrice Kimberley Moulton (Conservatrice adjointe au département Art autochtone de la Tate Modern et qui appartient au peuple Yorta Yorta), Pippa Milne et Brendan McCleary, l’exposition « On Country » (sur le Pays) réunit plus de 200 œuvres photographiques réalisées par une vingtaine d’artistes et collectifs australiens, à la fois autochtones et non autochtones. Elle explore le concept de « Country », un terme fondamental pour les Peuples Premiers d’Australie désignant l’ensemble des liens spirituels, ancestraux, culturels et écologiques à la terre, à l’eau, à la mer et au cosmos. À travers leur travail, l’exposition explore les relations anciennes et nouvelles entre Pays et colonialisme, entre communauté et identité aujourd’hui en Australie. L’histoire complexe de l’Australie est soustendue par 60 000 ans d’attachement continu des peuples premiers à cette terre qu’ils n’ont jamais cédée par traité – des peuples comprenant plus de 250 groupes linguistiques, ou « countries ». Depuis, il s’est écoulé deux siècles de colonisation. La nation est donc un espace partagé d’histoires collectives et individuelles aux facettes multiples et, bien que le colonialisme ait tâché de réduire à néant les peuples des Premières Nations, notamment par des politiques racistes d’assimilation menées de 1924 à 1970, leur culture a perduré et demeure vivante et forte jusqu’à aujourd’hui.
◆ Warakurna Superheroes
Parmi les œuvres marquantes de l’exposition, Warakurna Superheroes (par Tony Albert, issu des Peuples Premiers Girramay, Yidinji et Kuku Yalanji, et David Charles Collins qui vit en territoire Gadigal), citons celle qui est devenue l’image emblématique du festival, visible sur les catalogues et affiches : un petit garçon qui pose sur une caisse de voiture rouillée, en costume de super héros, cape au vent. En mettant en scène les enfants d’une des plus importantes communautés aborigènes d’Australie revêtus de costumes de fortune de la franchise Marvel, les artistes veulent relier le pouvoir du jeu, la culture populaire et la relation aux temps ancestraux. Leurs photos invitent à réfléchir à la figure du « super-héros » à travers une vision autochtone du monde : les super-héros peuvent être les Anciens porteurs de savoir ; les récits ancestraux de la création de la terre ; ou encore les enfants eux-mêmes incarnant les héros de demain.
◆ Majority Rule
La dernière série du photographe Michael Cook (Bidjara, vit en territoire Kabi Kabi), Majority Rule (Loi de la majorité), témoigne de son incursion dans un nouveau
territoire artistique. Ses œuvres utilisent l’image pour poser une question directe. Il invite le spectateur à s‘interroger sur une Australie où les Aborigènes seraient majoritaires. Et si les Aborigènes représentaient 96 % de la population australienne et que les non-Aborigènes représentaient les 4 % restants, ce qui correspond à la proportion actuelle de la population autochtone d’Australie ? Abordant la nature discriminatoire de la société, Cook utilise le même homme aborigène, reproduit à l’infini dans chaque image, pour communiquer son message et brosser le tableau d’une structure sociètale inversée. Les multiples versions du sujet aborigène peuplent des lieux urbains génériques : un tunnel de gare, un bus d’époque, des monuments emblématiques et diverses rues. L’imagerie de Cook remet en question nos systèmes de croyances profondément ancrés, sans pour autant porter de jugement : elles sont observationnelles, posant des questions sans tirer de conclusions précises. L’intérêt de Cook pour l’impact de l’histoire de l’Australie sur ses premiers habitants est mis en évidence dans cette série d’images à la chorégraphie intense et intentionnelle. Réalisée en 2024, cette série peut être relue à la lumière du referendum de 2023, A Voice to Parliament, (Une voix au Parlement) qui aurait permis que des conseillers autochtones soient consultés sur des sujets les concernant. Le rejet de cette proposition montre une nouvelle fois que la « Loi de la Majorité » continue de façonner la nation australienne.
◆ Ritual and Ceremony
À travers une série de portraits en noir et blanc, Maree Clarke (née à Swan Hill, dans le nord-ouest de l’Etat du Victoria, et liée aux terres traditionnelles des peuples Yorta Yorta/Wamba Wamba/Mutti Mutti/Boonwurrung) invite les visiteurs à réfléchir à l‘effacement perpétué par les institutions. Elle utilise de l’ocre blanche peinte sur les visages et les cheveux de femmes, ainsi que sur les yeux et les t-shirts d’hommes, représentant les peintures corporelles cérémonielles, ainsi que les scarifications, afin de rendre hommage à tout ce qui a été perdu. Les marques blanches sur les yeux des hommes et des femmes représentent les pratiques de deuil traditionnelles. Cette série inclut un portrait de trois mètres de hauteur de l’Elder Uncle Jack Charles, acteur et doyen disparu. Peint à l’ocre blanc, il mesure trois mètres de haut et témoigne d’un regard profond et d’une mémoire toujours ardente.
©Brenda Croft
◆ Portraits ethnographiques « Naabámi (tu verras) : Barangaroo (armée
de moi) »
La série de portraits de Brenda L Croft (Gurindji/Malngin/Mudburra), « Naabámi (tu verras) : Barangaroo (armée de moi) », présente des images dérivées de ferrotypes – un type de photographies assez répandu au XIXe – puis imprimées à grande échelle, de femmes et de filles contemporaines des Premières Nations australiennes, honorant Barangaroo, la femme Cammeraygal connue pour sa position ferme en tant que femme souveraine non soumise des Premières Nations lors du premier contact colonial. Les portraits de Croft dialoguent avec les voix du chœur Djinama Yilaga, qui chante en menero ngarigo et dhurga yuin. Le son emplit la nef et on est saisi par la puissance de cet échange.
◆ Capemba Bumbarra
Cette installation déploie un cyanotype monumental de 38 mètres de soie bleue suspendue, imaginé par Sonja Carmichael et Elisa Jane Carmichael (Ngugi/Quandamooka), un duo mère-fille. Le ruban inclut des motifs traditionnels et traverse l’église comme une rivière flottante ; il évoque le voyage de l’eau douce depuis sa source, à travers le bush, les mangroves pour venir se déverser dans l’océan. La source offrait eau potable et ressources alimentaires à leurs ancêtres. Sans oublier les travaux poignants de James Tylor (Kaurna) sur l’effacement colonial, dont les images insistent sur l’absence : cadres manquants, vides qui racontent l’effacement colonial. Ou ceux de Barbara McGrady qui souligne la présence autochtone dans l’espace public. Cette exposition est un moment marquant pour la visibilité de la photographie australienne sur la scène internationale. Elle offre une opportunité de réaffirmer la narration autochtone par l’art et un espace pour explorer les racines spirituelles et environnementales de la relation à la terre des Peuples Premiers australiens.
L’exposition est installée au cœur d’Arles, dans l’église Sainte-Anne, une ancienne église du XVIIᵉ siècle désacralisée. Elle est à découvrir jusqu’au 5 octobre 2025. Commissaires : Elias Redstone, Kimberley Moulton (Yorta Yorta), Pippa Milne et Brendan McCleary.
Artistes :
Tony Albert (Kuku Yalanji ; 1981) et David Charles Collins (1988), Ying Ang (1980),
Atong Atem (1994), Sonja Carmichael (Ngugi / Quandamooka ; 1958) et Elisa Jane
Carmichael (Ngugi / Quandamooka ; 1987), Maree Clarke (Yorta Yorta / Wamba
Wamba / Mutti Mutti / Boonwurrung ; 1961), Michael Cook (Bidjara ; 1968), Brenda
L Croft (Gurindji / Malngin / Mudburra ; 1964), J Davies (1994), Liss Fenwick
(1989), Adam Ferguson (1978), Robert Fielding (Yankunytjatjara / Peuple Arrernte
de l’ouest ; 1969), The Huxleys – Garrett Huxley (Gumbaynggirr / Yorta Yorta, 1973)
et Will Huxley (1982), Ricky Maynard (Pakana ; 1953), Lisa Sorgini (1980), Tace
Stevens (Noongar / Spinifex ; 1992), Wani Toaishara (1990) et James Tylor (Kaurna ;
1986).
Brigitte Postel
+ Crédit photo en-tête d’article :
Tony Albert (Kuku Yalanji), David Charles Collins and Kirian Lawson.
Warakurna Superheroes #1, Warakurna Superheroes series, 2017.
Courtesy of the artists / Sullivan+Strumpf.
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