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Renaître au Pôle…

L’Inuit qui n’était pas vraiment un inuit nous a quitté… L’ethnologue, géographe et explorateur du Grand Nord, Jean Malaurie, fondateur de la mythique collection « Terre humaine » a tiré sa révérence le 5 février dernier à 101 ans, quelques mois après sa femme Monique. Il était la figure majeure de l’anthropologie et de la géographie française. Lui qui a toujours désiré être enterré au Groenland reposera sur « la terre des siens ». Après une crémation au cimetière du Père Lachaise à Paris, ses cendres seront enterrées près de Thulé, sous un cairn.


◆ Genèse

Jean Malaurie est né à Mayence en 1922 dans une famille catholique française d’ascendance normande et écossaise. Son enfance a été marquée par l’imaginaire des châteaux du Rhin. Mobilisé en 1943 pour le STO, il est entré dans la clandestinité jusqu’en 1944. Puis il a étudie à l’Institut de géographie de l’université de Paris sous la direction d’Emmanuel de Martonne. En 1948, il a participeé aux Expéditions polaires françaises au Groenland. Il a réalisé des missions géomorphologiques et géocryologiques en Algérie avant de se rendre à Thulé en 1950 pour une mission géographique et ethnographique. Il fut le premier à établir la première généalogie d’un groupe d’Inuits et cartographie des régions jusque-là inexplorées. Ses recherches ont ainsi abouti à une thèse et il a obtenu son doctorat en géographie en 1962.


Jean Malaurie au Festival international de géographie 1996} numéro d’accession = 1998/18 | date= 1996 | institution = Archives de la Ville de Saint-Dié-des-Vosges | autorisation = {{FIG Saint-Dié}} | photographe = Photographe de la Ville de Saint-Dié-des-Vosges, dans le cadre de sa mission ; scan par Ji-Elle | source = {{photo scan} – Catégorie : Festival international de géographie 1996




◆ L’engagement

En 1951, Jean Malaurie et l’Inuit Kutsikitsoq sont deviennus les premiers hommes à atteindre le pôle nord géomagnétique. Peu après, le 16 juin de la même année, il a découvert une base militaire américaine secrète à Thulé et a pris position publiquement contre son implantation, en dénonçant le manque de consultation de la population locale. En 1955, il a publié Les Derniers rois de Thulé, un livre majeur de la collection Terre Humaine, qui vise à élargir la perspective occidentale sur d’autres peuples, rejoignant ainsi des œuvres notables comme Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss et Ishi, Testament du dernier Indien sauvage de l’Amérique du Nord de Theodora Kroeber ou encore Affables sauvages de Francis Huxley. L’objectif de Terre Humaine a toujours été de déplacer le regard des Occidentaux pour mieux comprendre les autres peuples. Il a été élu en 1957 à la première chaire de géographie polaire de l’Université française, créée à l’École pratique des hautes études (EPHE) sur recommandation de Fernand Braudel et de Claude Lévi-Strauss. C’est en 1958 qu’il a fondé le Centre d’études arctiques puis lancé la revue Inter-Nord en 1960. Il fut le directeur de la section française de la Commission gouvernementale franco-québécoise de 1968 à 1969, contribuant à la création du territoire autonome du Nouveau-Québec (Nunavik) et à des réformes éducatives. Ses travaux ont inspiré le statut des territoires arctiques canadiens. En 1990, il a même dirigé la première expédition soviéto-française en Tchoukotka sibérienne, étudiant notamment l’Allée des baleines, un monument ignoré jusqu’à son identification en 1977. En 1992, Jean a fonde l’Académie polaire d’État à Saint-Pétersbourg, une école accueillant environ mille élèves internes de quarante-cinq ethnies, dans laquelle la langue française est obligatoire en tant que première langue étrangère. Il en restera le président d’honneur à vie. À travers trente et une missions, de la Sibérie au Groenland, il a enseigné la méthode de l’anthropogéographie de la pierre à l’homme, soulignant l’importance des relations dialectiques entre les peuples arctiques, leur environnement physique, la faune et la flore. Il a développé par la suite, ses observations en lien avec le concept de Gaïa, affirmant que la Terre est un système physiologique dynamique en harmonie avec la vie depuis plus de trois milliards d’années, selon les conclusions de J. E. Lovelock.






Le coeur au Nord et la plume aussi
Toute sa vie, Jean Malaurie a défendu les droits des minorités arctiques face à l’exploitation industrielle et pétrolière du Grand Nord. Il a toujours considéré la mondialisation comme un malheur, affirmant que le pluralisme culturel était essentiel au progrès de l’humanité. Consultant pour quatre gouvernements et nommé Ambassadeur de bonne volonté pour les régions arctiques à l’UNESCO en 2007, il a présidé le premier congrès international pour l’Arctique de l’UNESCO en 2009. Il fût également président d’honneur de l’Uummannaq Polar Institute dès 2007, œuvrant à la conservation de la culture groenlandaise et à l’éducation des jeunes Inuits. En 2010, il a fondé le Pôle Inuit – Institut Jean Malaurie à Uummannaq, au Groenland. Son livre Les Derniers Rois de Thulé (1955), traduit en vingt-trois langues, est l’ouvrage le plus célèbre sur le peuple inuit. Dans ses mémoires intitulées De la pierre à l’âme, publiées en 2021, il évoquait ses liens avec Claude Lévi-Strauss, soulignant son rôle d’initiateur dans la publication de Tristes tropiques. Il a toujours été ouvertement animiste. Également grand officier de la Légion d’honneur, titulaire de la grande médaille d’or de la Ville de Saint-Pétersbourg, de la médaille d’or de la Royal Geographical Society de Londres, décernée par la reine, de la médaille de l’Ours, haute distinction du gouvernement du Groenland, de la Mungo Park Medal, remise en 2005 par The Royal Scottish Geographic Society ainsi que de nombreuses autres distinctions étrangères. En plus de ses dix livres, il a rédigé plus de cinq cents articles scientifiques, regroupés avec des textes inédits en six volumes à paraître chez les Éditions du CNRS et chez Armand Colin.


Une cérémonie aura lieu dans la cour des Invalides, dans le 7e arrondissement de Paris, près de l’église Saint-Louis-des-Invalides, le 13 février 2024. L’entrée sera ouverte au public à partir de 9 h 30.



« Je dois aux inuits d’avoir donné un sens à ma vie  », Jean Malaurie


Jessica Baucher


+ Crédit photo en tête d’article : @Pixabay

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