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Guyane : Le combat pour faire revenir les ossements d’ancêtres amérindiens conservés au Musée de l’Homme

Corinne Toka Devilliers, descendante de Moliko, une Amérindienne exhibée dans un « zoo humain » à Paris au XIXe siècle, a fondé une association pour obtenir la reconnaissance et la réparation des souffrances subies par ses ancêtres. Elle réclame également la restitution des ossements d’autochtones guyanais, conservés dans des collections publiques, une demande qui nécessite une évolution de la législation. Son association Moliko alet+po lutte pour que le rapatriement en Guyane des restes humains conservés depuis cent-trente-deux ans au musée de l’Homme à Paris puisse se faire rapidement. En 1892, trente-trois Amérindiens kali’nas et arawaks, dont des enfants, ont effectivement quitté la Guyane pour être exposés en Europe. Une délégation d’une vingtaine d’Amérindiens de Guyane et du Suriname est donc à Paris du 14 au 22 septembre pour essayer de récupérer ces restes humains.


◆ Zoos humains
Les zoos humains, également connus sous le nom d’expositions ethnologiques ou d’expositions humaines, étaient des spectacles durant lesquels des personnes issues de groupes autochtones étaient présentées dans des conditions qui simulaient des environnements « exotiques » ou « primitifs ». Ces évènements ont été particulièrement populaires en Europe et en Amérique du Nord à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, alors que l’impérialisme et le colonialisme étaient en pleine expansion. Ils étaient souvent organisés dans le cadre de foires, d’expositions universelles, comme celle du Jardin d’Acclimatation à Paris, et reflétaient une vision raciste et paternaliste de la diversité culturelle, dans laquelle les populations autochtones étaient montrées comme des « curiosités » ou des « représentations vivantes » d’autres cultures. Des groupes tels que les Pygmées, les Aborigènes australiens, et divers peuples autochtones des Amériques et d’Afrique ont ainsi été exhibés dans ces zoos humains. Ils étaient soumis à des conditions de vie précaires et à des traitements dégradants. Ces expositions ont contribué à renforcer des stéréotypes raciaux et à justifier les politiques coloniales et impérialistes. Les zoos humains ont suscité des critiques croissantes au fur et à mesure que les mouvements de droits civiques et d’égalité se développaient. L’exploitation et la déshumanisation des personnes étaient de mise. Leur déclin est survenu à la suite de pressions croissantes contre le racisme et le suprémacisme, ainsi que des changements dans les attitudes publiques et politiques. Les restes humains et les objets collectés à cette époque font aujourd’hui l’objet de demandes de restitution et de décolonisation dans les musées et les collections publiques. C’est le cas de la Guyane qui réclame que le musée de l’Homme restitue les restes humains en sa possession….





Moliko, 3e à partir de la gauche faisait partie du zoo humain en 1892. • PRINCE BONAPARTE EXHIBITION ETHNOGRAPHIQUE DE CARAIBES. COLLECTION MUSÉE DU QUAI BRANLY, PARIS


Restitution
C’est en 2018 que Corinne Toka Devilliers découvre, en regardant un documentaire sur les zoos humains, que Moliko, son arrière-arrière-grand-mère paternelle, a été exposée au Jardin d’Acclimatation en 1892. En effet, à la fin du XIXe siècle, le directeur du Jardin d’Acclimatation a envoyé l’explorateur François Laveau en Guyane pour trouver des « Indiens » des Caraïbes à exposer dans des zoos humains. En 1882 et 1892, quarante sept Kali’na de Guyane et du Suriname sont arrivés à Paris, où ils étaient exhibés à demi nus pendant plusieurs mois, souffrant de maladiesd’épuisement et de mauvais traitements. Lors de leur départ en 1892, huit d’entre eux étaient mortsEn septembre 2024, au musée de l’Homme, il ne reste que six boîtes en carton contenant les ossements de ces personnes, les restes de deux individus étant disparus : l’un a été donné à la science, l’autre serait enterré au cimetière de Levallois-Perret. Un travail minutieux a été entrepris pour identifier les Kali’na exposés au XIXe siècle, en recoupant les archives et les photos souvent inexactes. Malgré les efforts pour reconstituer les informations, il reste encore des anonymes et des incertitudes, notamment pour les jeunes hommes aux identités confondues.



Des résistances politiques et culturelles
Corinne Toka Devilliers exprime les difficultés rencontrées dans le processus de restitution, malgré quelques soutiens politiques. Les démarches pour obtenir le retour des restes sont ardues à cause des obstacles législatifs et administratifs. Elle exprime son espoir que les autorités françaises et les institutions culturelles reconnaissent enfin l’importance de restituer ces restes dans un cadre respectueux et éthique, tout en appelant à une meilleure sensibilisation et compréhension de cette problématique en France. Cette restitution des restes humains se heurte au principe d’inaliénabilité des collections publiques en France. Selon celui-ci, les biens du domaine public, y compris les restes humains conservés dans les musées, ne peuvent être cédés ni vendus, ni restitués sans une dérogation législative spécifique. Cela signifie que pour sortir les restes des collections publiques, il faudrait une loi votée par le Parlement, ce qui est un processus long et complexe. Bien que des lois spécifiques aient été votées dans le passé pour des cas particuliers (comme ceux des têtes maories ou de Saartje Baartman), il n’existe pas encore de cadre général pour faciliter le rapatriement des restes humains. Cela conduit à une situation où chaque demande de restitution doit être traitée au cas par cas, ce qui ralentit considérablement le processus et augmente les risques de refus ou de complications. Le processus pour obtenir la restitution implique plusieurs étapes administratives et des négociations avec différentes parties, y compris les musées, les autorités locales, et les ministères concernés. La tâche de prouver l’origine et l’identité des restes est compliquée par la qualité souvent médiocre des archives historiques et des photographies anciennes. Les erreurs dans les enregistrements, les mauvais traitements des corps et les informations inexactes rendent difficile la reconstitution précise de l’histoire des individus exposés. Bien que Corinne Toka Devilliers ait réussi à attirer l’attention sur le sujet, le manque de sensibilisation générale et de soutien public peut également constituer un obstacle. Les questions de restitution sont parfois perçues comme des problèmes secondaires, ce qui peut affecter la volonté des décideurs de s’engager activement dans le processus. Dans un entretien accordé à la radio Peyi , elle souligne que l’Allemagne a mis en place des procédures plus claires et plus efficaces pour la restitution des restes humains que la France et que ce pays a déjà restitué un grand nombre de crânes et de restes humains à leurs pays d’origine, montrant une volonté politique et une action administrative plus déterminée dans ce domaine. Cette approche proactive contraste fortement avec la situation chez nous. Corinne explique que cette différence vient en particulier de la difficulté de la France à reconnaître les méfaits de son passé colonial.

Une cérémonie a eu lieu le 17 septembre 2024 au musée de l’Homme. Elle a été organisée pour « apaiser les âmes » des ancêtres des délégués, dont les restes sont entreposés dans des boîtes grises au musée. En tenue traditionnelle et accompagnés d’un chamane, une vingtaine de membres de la délégation y ont participé. Cela a duré plus de deux heures durant lesquelles ils ont chanté et dansé, rendant ainsi hommage aux Kali’na exposés au Jardin d’Acclimatation à la fin du XIXe siècle. Cette action symbolique a été une étape importante de leur séjour, visant à honorer leurs ancêtres et à sensibiliser le public et les autorités à leur demande de rapatriement des restes humains.



Jessica Baucher


* Crédit photo en tête d’article : ©Pixabay

* Pour aller plus loin :
Pour une Commission Vérité sur les homes indiens de Guyane – Association Moliko Alet+Po
À l’époque des zoos humains (CNRS)

* Retrouvez notre article sur King Kasaï de Christophe Boltanski et son interview dans le n°12 de notre revue



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