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©JUSQU'À LA NUIT / Anne Pacéo

Reste un oiseau… ! une rencontre avec Anne Paceo

Anne Paceo est une artiste-compositrice et musicienne de la nouvelle scène du jazz français. Après sept albums et trois Victoires de la musique, elle revient avec S.H.A.M.A.N.E.S, un nouvel opus au titre énigmatique et une tournée en France. Explorant les infinies possibilités de sa voix et du son, elle nous invite à un voyage chamanique inspiré autant par l’énergie des tambours que par les chants sacrés et et l’écho intime, délicatement tissé, par la trame singulière de son existence.

Propos recueillis par Jessica Baucher


Pourquoi avez-vous décidé d’appeler votre album S.H.A.M.A.N.E.S ?

Je m’intéresse à l’invisible depuis l’enfance. Ma mère m’a beaucoup parlé du chamanisme. Ce sont des pratiques que l’on retrouve dans le monde entier et notamment dans des régions françaises comme celle où j’ai grandi et dans laquelle il y avait des guérisseurs. Je viens des Deux-Sèvres en Nouvelle Aquitaine. Je me souviens, petite, avoir eu très tôt cet intérêt pour la spiritualité. Puis lorsque j’avais 18 ans, je suis tombée sur le livre Journal d’une apprentie chamane de Corine Sombrun, par la suite j’ai lu d’autres livres d’elle et cela m’a beaucoup intéressée et marquée. J’ai aussi été très touchée par le documentaire D’autres mondes de Jan Kounen. Au moment où j’ai commencé à travailler sur ce nouvel album, j’étais en train de lire Voyager dans l’invisible de l’ethnologue Charles Stépanoff. Mais l’élément déclencheur de ce nouvel opus a été le décès de mon grand-père dont j’étais très proche et que j’ai accompagné jusqu’à son dernier souffle en lui chantant des chansons. Cela m’a beaucoup questionnée sur la mort : où va-t-on ensuite ? que se passe-t-il pour l’âme ? Quel voyage l’attend ? Je me suis mise à relire beaucoup de livres sur les chamanes et leur capacité à communiquer avec l’invisible, avec les esprits. Dans ma famille, on croit beaucoup aux signes et aux synchronicités. Après le décès de mon grand-père, j’étais tellement secouée qu’écrire cet album m’a soigné ! Cet acte m’a aidé à faire mon deuil. J’ai eu la sensation que la musique était aussi là pour m’accompagner. Pour moi, celle-ci a toujours été très spirituelle, j’ai l’impression que lorsque l’on joue, on se connecte quelque part à l’invisible, et quand j’écris et que je compose c’est comme si j’avais des antennes qui captaient une radio. J’ai l’impression que lorsque l’on est artiste, on est un peu un canal… J’ai clairement la sensation de recevoir. La musique a beaucoup de liens avec la magie du monde.



Image du clip du morceau RESTE UN OISEAU, imaginé, dessiné et réalisé par ©Juliette Bonvallet



Quelles sont ces conditions pour recevoir ? Avez-vous des pratiques particulières ?

J’ai déjà fait une retraite bouddhiste mais je n’arrive pas vraiment à méditer. J’ai surtout besoin d’être dans le calme, connectée à la nature et notamment aux chants des oiseaux. Je suis extrêmement sensible aux sons extérieurs. Sur tous mes enregistrements, on peut entendre des oiseaux et lorsque j’écris de la musique, dans toutes mes démo, il y a leurs chants derrière, et j’en ai besoin pour me concentrer.



La nature et les animaux sont effectivement très présents dans vos morceaux, dans vos clips, et évidemment dans Reste un oiseau… ils sont en quelque sorte vos alliés invisibles ?

Je peux passer des heures à les écouter et surtout ce sont des animaux incroyables parce qu’ils sont capables d’être sur la terre et dans les airs. En fait, le titre Reste un oiseau, est parti d’un dessin de ma sœur réalisé pour moi juste après le décès de mon grand-père. Dans ce morceau, je joue du n’goni, une guitare traditionnelle malienne. Lorsque ma grand-mère est morte, elle m’avait laissée une petite assurance-vie, pas une grosse somme mais je n’osais pas dépenser cet argent car je ne savais pas comment l’utiliser de la meilleure manière, et j’ai discuté avec un ami qui m’a dit qu’avec l’héritage de sa grand-mère à lui, il s’était acheté une clarinette basse en me précisant qu’elle lui resterait toute sa vie. Quelques jours avant les obsèques de mon grand-père, alors que je me promenais dans ma région natale, je suis tombée dans une petite boutique d’instruments de musique. Il y avait plein de n’goni et j’en ai essayé plusieurs puis j’ai eu un énorme coup de cœur pour celui-ci, j’en ai joué pendant des jours et des jours ! J’avais vraiment la sensation que cela m’aidait à traverser tout cela. Reste un oiseau, je l’ai aussi joué pendant les funérailles de mon grand-père parce qu’il a émergé au beau milieu de cette gravité. J’ai toujours besoin d’aller chercher la lumière dans les périodes difficiles et ce titre-là, il est finalement si lumineux que l’on ne peut pas imaginer que je l’ai écrit durant ce moment douloureux et perturbant. Depuis l’enfance, la musique est mon endroit-refuge, peu importe ce qu’il m’arrive, je sais que je peux le traverser tant que je peux jouer de la musique et créer.




©JUSQU’À LA NUIT / Anne Pacéo


Pouvez-vous nous parler des différentes influences musicales que l’on perçoit à travers les instruments que vous utilisez et les chants ethniques que vous pratiquez ?

Pour moi, la musique ne doit pas rentrer dans des cases. Un morceau que l’on aime ça ne s’explique pas, il nous touche, nous sommes dans le domaine du sensible.
Je ne peux pas écrire sur commande. J’adore les musiques du monde et j’ai eu la chance de voyager beaucoup dans mon enfance et je crois que cela m’a ouvert aussi à d’autres influences. C’est comme maîtriser plusieurs langues et pouvoir les utiliser selon leurs subtilités propres au niveau des émotions. Par la musique, tu ressens tout, tu ressens un pays, une histoire et tu comprends, tu captes, pourquoi la musique a cette couleur-là. Ce n’est pas intellectuel, mais charnel !



L’état dans lequel vous plongez avant de composer, d’écrire et de jouer est-il aussi sensoriel ? Pouvez-vous nous détailler ce qu’est cette glossolalie qui vous vient et comment vous l’identifiez ?

Ce qui est assez fou sur ce disque, contrairement aux autres fois où cela prend plus de temps, c’est que cette fois, tout m’est arrivé comme si c’était « déjà prêt », comme si quelqu’un m’avait tout chanté à l’oreille… et que j’avais juste à écrire. Durant mon processus créatif personnel, je dois me mettre dans un état de tranquillité particulière pour recevoir la musique. Si je suis dans le stress du quotidien, elle ne me vient pas de la même manière. J’ai besoin d’être dans le calme, dans des conditions assez spéciales, propices à la réceptivité. Je ne peux pas écrire à n’importe quel moment. et je ne choisis pas lorsque ça me tombe dessus. Dans cet album, j’ai voulu littéralement plonger dans les possibilités vocales et percussives de ma propre musique intérieure.




Avec S.H.A.M.A.N.E.S, vous avez souhaité parler de la puissance du féminin, quelle est votre vision ? votre engagement ?

Dans le groupe que j’ai composé, il y a une parité : nous sommes trois hommes et trois femmes. J’évolue habituellement dans un milieu assez masculin.
Concernant le féminin, j’ai eu une première grosse prise de conscience en lisant King Kong Théorie de Virginie Despentes. Ça m’a ouvert les yeux ! Puis le livre de Mona Chollet Sorcières : La puissance invaincue des femmes, m’a beaucoup touchée parce que j’ai compris que ce sont des anciennes chamanes guérisseuses ces femmes que l’on appelait sorcières auparavant. Elles étaient présentes pour accompagner les grands moments de la vie : accouchement, maladie, avortements, mort. Il y a toujours eu une sororité dans l’Histoire, et c’est drôle parce que ce mot revient actuellement. Je me souviens, plus jeune, de l’idée de rivalité féminine que l’on m’a insufflée. Plus tard, j’ai cependant réalisé que cette notion venait d’un conditionnement et d’une certaine volonté de diviser les femmes afin qu’elles ne soient pas trop solidaires les unes avec les autres et donc pas très puissantes. C’est infiniment beau ce qu’il se passe en ce moment, parce que l’on s’entraide vraiment. Pour moi, lorsque je pense au mot chamane, je vois tout de suite une femme ! Dans le clip WIDE AWAKE, j’ai demandé à la dessinatrice Juliette Bonvallet de me dessiner des personnages qui soient androgynes parce que quelque part, avant d’être sexués, nous sommes avant tout des humains. J’ai aussi questionné la féminité telle qu’elle apparait dans nos sociétés occidentales : porter des jupes, des talons, montrer son décolleté, et ce n’est absolument pas cela, ça se situe ailleurs ! On peut être très féminine sans ces apparats. Le féminin puissant, selon moi, inclut : une finesse d’esprit, une grande capacité de résilience, une force et une intelligence particulières.



Avez-vous déjà rencontré des chamanes ? Souhaiteriez-vous le faire ?

Non mais la vie m’y ramène tout le temps et j’aurais peur d’assister à une cérémonie, notamment de l’effet que cela pourrait avoir sur moi, que « ça me tombe dessus » ! On m’a dit plusieurs fois que j’étais chamane. On m’a même dit que je pourrais un jour communiquer avec les morts mais mon médium c’est la musique ! J’aurais peur de ce qu’il pourrait se passer si je développais ces capacités sur un autre plan, particulièrement de perdre mon lien à la musique. Et en même temps, si c’est mon chemin… c’est mon chemin, je ne connais pas la suite.
J’ai souvent reçu des retours des spectateurs lors de mes concerts qui disaient que ma musique leur faisait beaucoup de bien. C’est un cadeau immense ! Un jour, un vieux monsieur est venu m’écouter à Dunkerque et il avait beaucoup de mal à marcher. Je l’ai revu parce que nous avons joué plusieurs soirs d’affilé et après le concert, il avait oublié ses cannes car il avait de nouveau réussi à marcher sans. Il disait que ma musique l’avait soigné et je ressens qu’il y a des choses qui se produisent malgré moi et dont je n’ai pas conscience. Sur scène, selon mon état intérieur, selon les soirs, j’ai parfois l’impression de libérer quelque chose de puissant, je ne sais pas comment l’expliquer mais j’ai la sensation d’ouvrir l’infiniment grand ! Ce sont mes meilleurs concerts, ceux durant lesquels les gens sont le plus touchés. Cet état singulier permet une transmission.



©JUSQU’À LA NUIT / Anne Pacéo



La photographie de votre album, qui est une superposition de plusieurs photos de vous, renvoie à la notion de multidimensionnalité évoquée par la physique quantique… Est-ce volontaire ?


J’avais le désir que l’univers graphique de cet album (comme des autres) soit fidèle, de par son esthétique, à ma musique. Je souhaitais que l’on puisse en deviner la texture et les vibrations en regardant simplement la pochette ! Nous avons donc d’abord photographié des oiseaux puis par la suite, il y a eu des portraits de moi et j’ai beaucoup parlé au photographe de cette sensation que j’ai lorsque je compose chacun de mes albums, de retirer des « couches de moi-même », ces choses que j’enlève et dont je me libère afin d’aller de plus en plus à l’essentiel. Je lui ai également dit que j’avais l’impression d’être vraiment multiple ! (Rires) J’avais aussi en tête la vision du chamane qui voit l’invisible et les parties de son corps qui sont cachées lorsqu’il pénètre dans cette forme d’invisibilité pour agir. Je pensais aussi aux EMI (expériences de mort imminente) parce que j’ai lu pas mal de livres sur le sujet et lorsque je joue, j’ai cette impression de sortir de mon corps et de regarder de plus haut ce qu’il se passe… comme je le montre dans le clip WIDE AWAKE ! C’était donc une manière de rappeler tout ça 





« Fais danser les mots pour qu’ils deviennent des oiseaux »
Rabhi Nahman de Braslav




+ Crédit photo en tête d’article : @JUSQU’À LA NUIT / Anne Pacéo


Pour aller plus loin…
– Le site d’Anne Pacéo
Dates de ses prochains concerts
– Les dessins de Juliette Bonvallet, la créatrice des clips de Anne Pacéo



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