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Savoirs autochtones, le socle d’une écologie nouvelle

Dans son ouvrage « Fresh Banana Leaves : Healing indegenous Landscape Through Indegenous Science », Jessica Hernandez, chercheuse environnementaliste zapotèque1 et fondatrice de Piña Soul SPC, milite pour la reconnaissance des savoirs autochtones dans la défense de la nature et dénonce l’éco-colonialisme.
Lors d’une interview accordée au média en ligne américain Vox, elle expose en détails sa vision et des manières concrètes d’agir.

◆ Un respect mutuel entre l’homme et la nature
Après un doctorat à l’université de Washington, Jessica Hernandez souhaite aujourd’hui faire reconnaitre que les connaissances ancestrales de la nature de l’ensemble des peuples autochtones de la planète sont les clefs d’une nouvelle écologie garante de la survie du vivant. Au travers d’exemples, tel que celui de son père Victor-Manuel Hernandez qui raconte comment il a survécu dans les années 1970, durant la guerre civile au Salvador, grâce aux feuilles d’un bananier qui l’ont protégé de l’assaut des balles... elle montre à quel point faire corps avec la nature peut nous sauver la vie. Ce qu’elle désire avant tout transmettre c’est que les peuples autochtones possèdent une médecine et des savoirs extrêmement anciens qui leur confèrent une légitimité à prendre aujourd’hui les bonnes décisions par rapport aux évolutions environnementales. Jessica souligne que ceci ne semble toujours pas évident pour les scientifiques et politiciens actuels alors que les peuples autochtones gèrent pourtant bien plus de territoires sur la planète que ces derniers (zones protégées, parcs nationaux). De plus, elle rappelle qu’environ 80% de la diversité des espèces connues se trouvent toujours sur des territoires autochtones malgré des siècles de génocide, de racisme et après, ce qu’elle et d’autres militants, nomment : colonialisme de peuplement 2.


@Pixabay

Les reliquats de la pensée anthropologique
Dans l’interview accordée à Vox, Jessica aime à rappeler que l’enseignement scolaire académique, partout dans le monde, ne fait toujours pas le lien entre la nature et l’humain. Cette division toujours présente dans les esprits et les manuels scolaires dénote l’absence d’une vision holistique3 de l’écologie : « Nous essayons de sauver un arbre et nous manquons toute la forêt », souligne-t-elle. De nombreuses langues autochtones n’ont pas de mots correspondants à « écologie » mais plutôt des mots qui signifient « guérison » ou qui impliquent la notion de « prendre soin ». Cette compréhension de l’interconnexion du vivant lui est justement venue grâce à la transmission dont elle a bénéficié par ses parents et sa communauté. « Derrière la vision conservatrice du monde moderne, il y a toujours ce vieux prisme anthropologique qui véhicule l’idée que les tribus ne sont pas civilisées et restent en quelque sorte « ces créatures mythiques en harmonie avec la nature et pas nécessairement des personnes qui détiennent des connaissances ou qui peuvent s’adapter à leur environnement » », précise-t-elle.


@Pixabay

À contre-courant…
Jessica consacre un chapitre entier de son livre à l’éco-colonialisme4 encore présent et qui impacte, depuis longtemps, les espèces animales et végétales de nombreux pays. Elle illustre son propos en citant l’exemple de l’affaire de la pêche au saumon dans l’état de Washington5, dans les années 1970. La décision des autorités a exclu totalement la vision holistique des peuples Muckleshoot6 du nord-ouest de l’Amérique du Nord. Elle rappelle que dans cette histoire, les autorités se sont concentrées sur des éléments annexes au saumon lui-même alors que les pêcheurs autochtones, eux, voyaient : « le saumon comme un parent spirituel des tribus côtières ». Aujourd’hui encore, cette vision est toujours absente de la politique ou des discours environnementaux traditionnels aussi bien au sujet des effets de la dévastation climatique que dans la gestion des territoires. De plus, elle tient à souligner combien les tribus se sont pourtant, sans cesse, adaptées à tous ces changements au fil du temps : « Et tandis que les pratiques holistiques de gestion des terres, de l’eau et des forêts, nées de millénaires de systèmes de connaissances autochtones, ont beaucoup à nous apprendre à tous, la science autochtone a longtemps été ignorée, altérée ou perçue comme « douce »; le produit d’un processus systématique et séculaire, hérité d’une longue campagne de racisme, de colonialisme, de capitalisme extractif et de délégitimisation ».


@Piña Soul, SPC

De belles promesses pour l’avenir
Jessica Hernandez considère que revoir l’histoire et la considérer est un bon moyen, pour les Occidentaux, de commencer à penser autrement. Elle cite l’exemple du Sierra Club qui a reconnu, en 2020, via les propos de Michael Brune, son directeur exécutif, les sombres racines de ses fondations : « Pour tous les torts que le Sierra Club a causés et continue de causer aux Noirs, Autochtones et autres personnes de couleur, je suis profondément désolé ».
Pour elle, l’une des meilleures manières de changer profondément les mentalités serait d’inclure les savoirs autochtones dans les programmes d’enseignements officiels. Elle a d’ailleurs commencé en introduisant des connaissances indigènes dans son programme de Sciences du climat à l’université. Ainsi espère-t-elle, grâce à ses différentes actions, briser les plafonds de verre qui empêchent la légitime reconnaissance des savoirs ancestraux de sa communauté Ch’orti’7 et des autres .
Jessica dirige l’agence environnementale Piña Soul qui oeuvre à la présentation et à la contextualisation des connaissances autochtones et propose une vision de la gestion des terres basée sur la guérison, la reconnaissance et l’union.

« La nature nous protège tant que nous respectons la nature », telle est la devise de cette digne héritière du peuple Maya !


  1. Les Zapotèques sont un peuple vivant dans l’État d’Oaxaca, au Mexique, et dont la structure matriarcale remonte à la période précolombienne. (source : Academic)
  2. Déplacement intentionnel et effacement des peuples autochtones par des étrangers.
  3. En épistémologie ou en sciences humaines, relatif à la doctrine qui ramène la connaissance du particulier, de l’individuel à celle de l’ensemble, du tout dans lequel il s’inscrit. (Larousse)
  4. Éco-colonialisme ou écologie coloniale désigne l’idée que les processus d’appropriation de l’environnement seraient liés à l’exploitation et la domination des peuples indigènes, de leurs territoires ancestraux et de leurs cultures traditionnelles (Wikipédia).
  5. Dans une affaire judiciaire des années 70, Etats-Unis contre Washington, le juge George Boldt a statué que les tribus avaient droit à la moitié du saumon exploitable en vertu des traités du XIXe siècle. La décision a déclenché une réaction de la part des pêcheurs non autochtones. (extrait de l’article de VOX)
  6. Descendants de groupes autochtones du nord-ouest de l’Amérique du Nord, tels que les Skopamish, Smulkamish, Stkamish, Tkwakwamish et Yilalkoamish. La tribu Muckleshoot réside désormais dans une réserve, située aux États-Unis, dans l’État de Washington. (source : Speigato)
  7. Indiens Maya, les Chorti (ou ch’orti’) habitent dans les hautes terres de l’est du Guatemala, principalement dans le département de Chiquimula, et, au Honduras, dans la région de Copán ; autrefois, leur territoire s’étendait jusqu’au Salvador. (source : Universalis)


Pour aller plus loin…
– le livre de Jessica Hernandez « Fresh Banana Leaves » (ed. North Atlantics books) sera disponible (Ebook en anglais) le 18 janvier prochain, en France.
– son compte Twitter
– son compte Instagram

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