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Esprits et urnes : l’influence persistante des chamanes dans la politique sud-coréenne



En Corée du Sud, les chamanes ne se contentent pas de prédire l’amour ou la réussite professionnelle. Ils s’invitent aussi dans les couloirs du pouvoir, entre visions prophétiques, rituels ancestraux et controverses nationales. Alors que le nouveau président Lee Jae-myung vient d’être investi, retour sur un phénomène aussi ancien qu’intriguant.


Ils sont près de 300 000 en Corée du Sud, à revendiquer un lien avec l’invisible. Les mudang, chamanes traditionnels, continuent de jouer un rôle singulier dans la société contemporaine : entre rituels, oracles et consultations privées, ils guident les individus dans leurs décisions quotidiennes mais depuis plusieurs années, ces guides spirituels influencent aussi… les choix politiques.

À Incheon, sur la côte ouest du pays, la chamane Yang Su-bong affirme sans trembler que le destin présidentiel de Lee Jae-myung lui est apparu « il y a des années ». « J’ai vu en lui une aura présidentielle », a-t-elle confié à l’AFP. Son soutien affiché au candidat progressiste lui a valu menaces et critiques, mais elle persiste : « Je ne peux pas mentir sur ce que je vois. Ce n’est pas la voie d’une véritable chamane ».


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 Une pratique toujours vivante
Le chamanisme coréen, antérieur au bouddhisme et au confucianisme, est enraciné dans les croyances ancestrales du pays. Les mudang, majoritairement des femmes, sont des intermédiaires entre les esprits et les vivants. À travers les “gut“, des cérémonies mêlant tambours, chants et danses, ils purifient les lieux, bénissent les entreprises ou annoncent l’avenir.

Aujourd’hui, la tradition se modernise. Ils se digitalisent même en pratiquant des consultations en visioconférence, lives YouTube et contenus viraux qui témoignent d’une résurgence de leur popularité, alimentée notamment par le succès de films comme Exhuma, où des chamanes affrontent des esprits maléfiques.


◆ Une ombre sur le pouvoir
Cette influence spirituelle inquiète une partie de la société. En 2017, la présidente Park Geun-hye a été destituée après que sa proche conseillère : une chamane, a été accusée de manipuler les affaires de l’État. Plus récemment, le président déchu Yoon Suk-yeol et son épouse ont été soupçonnés d’avoir consulté des chamanes pour des décisions aussi graves que la proclamation de la loi martiale, un acte qui a semé le chaos pendant six mois.

Selon Lee Won-jae, sociologue à l’université KAIST, cette emprise occulte sur la politique suscite une réaction émotionnelle intense : « Lorsqu’il s’agit de dramatiser la politique, rien n’est aussi efficace que d’invoquer des thèmes chamaniques ».



Visions contradictoires
Tous les chamanes ne voient pas l’avenir de Lee Jae-myung sous un jour favorable. À Busan, Lee Dong-hyeon, alias Ohbangdoryeong (gardien des cinq directions), pratique des rituels impressionnants : il lèche la lame d’un couteau pour recevoir des messages divins. Il prédisait dès 2022 la chute de Yoon, mais se montre sceptique sur le futur du nouveau président. « Les choses se stabiliseront pendant deux ans. Ensuite, il y aura des purges politiques et du sang versé ». À Daegu, la chamane Sundol abonde dans son sens : elle a dit que Lee incarnait une énergie « rapide et dévorante, comme un feu de forêt au printemps ». Selon elle, son mandat pourrait être « orageux »… De nombreuses figures politiques continuent anonymement de consulter les chamanes. « Les riches et les puissants viennent chercher un éclairage. Parfois, une petite impulsion change leur trajectoire », a déclaré Yang Su-bong.



Prophétie réalisée
Le 3 juin 2025 dernier, les urnes ont tranché et Lee Jae-myung a remporté l’élection présidentielle avec 49,42% des suffrages, contre 41,15 % pour son adversaire conservateur Kim Moon-soo, selon la Commission électorale nationale. L’élection, marquée par une participation record, s’est tenue dans un climat tendu après les troubles institutionnels provoqués par la chute de Yoon.
Conformément à la Constitution, Lee Jae-myung a été investi immédiatement, sans période de transition. Un fait rare qui accentue le caractère exceptionnel de cette élection. Sa première journée s’est ouverte sur un briefing militaire, suivi d’un hommage rendu au cimetière national.
Cette victoire donne une résonance particulière aux visions de la chamane Yang Su-bong. Pour elle, ce dénouement n’est pas une surprise, mais la confirmation de ce que les Esprits lui avaient révélé. Faut-il y voir une coïncidence ou un écho troublant de l’invisible sur le monde politique ? En Corée du Sud, les frontières entre rationalité et spiritualité restent fines et les chamanes, plus que jamais, en sont les passeurs.



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Jessica Baucher



+ Crédit photo en-tête d’article : ©Pixabay



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