Tigrane Hadengue est éditeur depuis plus de vingt ans. Avec Michka Seeliger–Chatelain, il est le co-fondateur de Mama éditions qui publie notamment de nombreux livres sur le chamanisme. Tigran est aujourd’hui l’auteur de la trilogie de romans initiatiques : Shaman dont le premier tome : La quête, vient de paraître. À l’heure où les pratiques chamaniques connaissent de plus en plus d’essor et un véritable engouement en Occident, ces trois puissants romans permettent d’identifier les véritables étapes propres à une initiation en nous plongeant au cœur du chamanisme sibérien et de la spiritualité mongole à travers l’expérience d’un jeune français.
◆ Le premier appel
Dans sa vie personnelle, Tigran a vécu des expériences extraordinaires : « Cet univers-là s’est ouvert en moi auparavant, alors que j’étais encore enfant. J’ai commencé à entendre des voix à l’âge de quatre ans », peut-on lire dans le premier opus de sa trilogie. Des bribes de premiers contacts avec l’invisible qu’il a réellement expérimentés ponctuent l’histoire du jeune apprenti chamane français. Ce sont autant d’indices laissés par notre héros pour comprendre les raisons de sa quête et celles de sa désignation par les esprits. En Mongolie, les esprits sont appelés Ongods, ils sont tantôt des animaux de pouvoir, tantôt des présences lumineuses ou sombres prenant différentes formes : « L’aigle descend vers nous et se pose au sommet de la pierre sainte. C’est la première fois que je vois un rapace d’aussi près. Magnétisme. Fil tendu entre Arzan et l’aigle. Je tiens la cadence sur ma percussion en peau de cerf. Semble alors se surimposer la silhouette du vieil homme sur le monolithe, comme si cette grande pierre dressée devenait une porte ouverte sur un autre temps, un autre monde ».
◆ À cheval entre deux mondes
Dans ce premier opus : La quête, le narrateur va être d’abord testé, désigné, reconnu puis initié. Il est ainsi soumis à des épreuves et des voyages spirituels qui le nettoient, le révèlent à lui-même par des visions et l’amènent à prendre sa véritable place. Plongé avec poésie au beau milieu des steppes d’Asie centrale, des gers2 qui sentent bon le süütei tsai3, de la majesté des collines de sapins et de mélèzes, il va suivre, pas à pas, les enseignements d’Otharjanat, sa chamane et grand-mère spirituelle : « La date du rituel a été choisie en regard du cycle de la Lune, les préparatifs ont commencé. Offrandes, amulettes, protections, pendentifs et collier miroir toli4… chaque élément entre en jeu dans cette cérémonie qui pourra tourner court si l’au-delà ne le voit pas de cet œil ». Il poursuivra son chemin de vie, retrouvera sa famille d’âme et celle qui lui est destinée : « La beauté, juste là. Et l’amour en personne. Comment ne pas voir que cette femme est pour moi, et que je suis pour elle. Hilga me sourit sans un mot, et, d’un discret mouvement de tête vers ma tente, m’invite à nous extraire de possibles regards ». Il y a quelque chose du Cantique des cantiques dans cet amour si pur, et dans la manière si délicate et codée de le décrire; une vision proche de celle de l’écrivain et calligraphe Frank Lalou et du chercheur Marc-Alain Ouaknin dans laquelle la quête de l’aimée marque l’alliance avec le ciel divin.
◆ L’nfini
Les trois tomes sont construits comme un ruban de Möbius : les perceptions de l’invisible, les messages qu’entend l’enfant puis l’adolescent suivent la même trame que l’initiation reçue par le jeune homme en Mongolie. Les visions se superposent puis se croisent jusqu’à s’assembler, le temps n’existe plus : « Pour que la flamme soit ravivée et le feu partagé » par-delà les âges. Au travers de ce conte initiatique, Tigran convoque à la fois le pouvoir subtil des traditions chamaniques ancestrales des peuples sibériens et en même temps une vision quantique de l’existence : « Une image de poupées russes me traverse, démultipliées de l’infiniment petit à l’infiniment grand, et réciproquement. Sensation de vertige. Le futur pourrait influencer le présent... ». On y retrouve aussi des éléments d’une vision proche du chamanisme Shipibo-Conibo d’Amazonie : « Le reptile révèle ainsi son sens de caducée, affirmant par ce symbole intemporel l’expertise de sa médecine, et, par sa nature binaire, la dynamique entrelaçant le diagnostic au remède. Soigneur devient alors l’anagramme de guérison… Puis, dans un sifflement suraigu, le serpent s’envole dans les airs, d’un mouvement prolongeant sa forme de double hélice ascensionnelle. Je vois cette torsade jumelée se surimposer brièvement à une image d’ADN géant qui se transforme elle-même en échelle, l’axis mundi de ceux qui voyagent entre Terre et cieux. Tout s’aligne et la Lune est levée, le premier acte est joué ». Tigran réussit le pari fou d’unifier différentes traditions chamaniques afin de nous en offrir l’essence… un peu comme si quelqu’un démontrait tout à coup que toutes les mystiques des principales religions sont identiques et que seuls les dogmes changent.
« Si tu ne vas pas dans les bois, jamais rien n’arrivera, jamais ta vie ne commencera. Va dans les bois, va… » Clarissa Pinkola Estés
Jessica Baucher
+ Crédit photo en tête d’article: @MAMA EDITIONS / SHUTTERSTOCK
- 1 : Böö : chamane de sexe masculin, en mongol
- 2 : tente mongole circulaire, équivalente à la yourte russe
- 3; thé salé
- 4 : Miroir de protection en métal, monté en pendentif
Pour aller plus loin…
– Retrouvez le second tome : La vision, en mai prochain et le troisième : L’appel en juin
– Le site de Mama Editions
– Les livres autour du chamanisme publiés par Mama Editions
– Les prochaines rencontres-signatures avec Tigran
+ Retrouvez également l’article de Franck Desplanques : D’un enclos à l’autre – élevage et architecture nomade en Mongolie, dans le nouveau numéro de notre revue
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