Quand les projets industriels menacent les sites sacrés. La réserve australienne de Murujuga serait en péril selon ses protecteurs. Un site ancestral renfermant des arts rupestres d’exception.
C’est au nord-ouest de l’Australie, au cœur de l’État de Pilbara (Australie occidentale), que se dresse le parc national de Murujuga. Une vaste étendue de plus de 37 000 hectares située dans la péninsule de Burrup, qui comprend quarante-deux îles, îlots et rochers. Considéré comme l’une des plus anciennes et des plus grandes galeries d’art au monde, ce site sacré abriterait plus d’un million de gravures rupestres. Des empreintes laissées par les anciens hommes, il y a des milliers d’années.
Toutefois, la région abrite aussi des ressources naturelles d’envergure. Le groupe industriel australien Perdaman convoite cet espace pour y implanter des usines de production d’engrais. Mis en œuvre, ce projet générerait plusieurs milliards de dollars de bénéfice, avec deux millions de tonnes d’engrais produits chaque année.
Cette ambition, les gardiens de Murujuga souhaitent la stopper. Selon eux, les usines menaceraient durablement la zone, et les arts ancestraux en présence. Ils protestent aussi car Murujuga est un site sacré pour les Aborigènes d’Australie. Ils ne veulent pas qu’il soit profané, car il renferme des millénaires d’histoire et de savoirs.
Pour Benjamin Smith, professeur émérite d’art rupestre à l’université d’Australie occidentale, d’ici cent ans, ce patrimoine pourrait disparaître si les projets industriels dans la zone voient le jour. Il appelle les industriels à revoir leurs projets de manière plus responsable.
Le gouvernement australien, arbitre du bras de fer
Face à cette problématique, les autorités australiennes semblent pour l’instant ne pas vouloir agir. En début d’année, des propriétaires aborigènes ont déposé une demande auprès de la ministre de l’environnement Sussan Ley, afin qu’elle émette une déclaration d’urgence pour empêcher la réalisation du projet.
Selon un des porte-parole du ministère, la requête a été rejetée au motif que le site de Murujuga ne fait pas l’objet d’une menace sérieuse et immédiate, et qu’il n’y a pas de risque de profanation sur ce site sacré. Face à ce refus, les gardiens comptent déposer une nouvelle demande. Les travaux sont censés débuter fin mai.
En quoi consiste une déclaration d’urgence ? En vertu de la législation australienne, et notamment des lois fédérales sur le patrimoine australien, la ministre de l’environnement a le pouvoir d’intervenir dans les projets industriels en cours de développement. Elle peut stopper tout projet en adressant cette déclaration d’urgence, si des sites aborigènes sont directement menacés.
Les gardiens de Murujuga voient donc en ce refus de la ministre un aveu d’inaction. À noter que le projet mené par le groupe Perdaman n’est pas le seul à l’œuvre dans la région. D’autres groupes industriels convoitent les réserves en gaz de la péninsule de Burrup. C’est le cas du projet gazier de Scarborough, mené par Woodside Petrolum et BHP group. En jeu, huit millions de tonnes de GPL (gaz de pétrole liquéfié) produits chaque année. Après deux siècles de colonisation, les Aborigènes d’Australie ne semblent pas encore avoir obtenu la paix qu’ils désirent.
Encyclopédie historique et humaine
Le parc national de Murujuga est un site unique en son genre. Il est le témoignage des civilisations passées, qui ont laissé des traces intemporelles sur les roches des plaines australiennes. Des peintures rupestres datées de plusieurs millénaires. Entre 40 000 et 50 000 ans plus précisément, selon certains spécialistes. Des artefacts dix fois plus anciens que les pyramides égyptiennes en somme.
Plus d’un million de pétroglyphes sont visibles. Ils présentent diverses scènes du passé, des représentations du monde. Certains dessins mettent en avant des animaux, tels que le thylacine, le loup marsupial ou tigre de Tasmanie, espèce aujourd’hui éteinte. D’autres célèbrent les mythologies aborigènes, encore vénérées aujourd’hui.
Le parc national de Murujuga est actuellement classé parmi les sites en danger selon une liste dressée par le Fonds mondial des monuments. Malgré les menaces, le site pourrait peut-être être préservé. Il fait en effet l’objet d’une demande d’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Antoine Portoles
Photo en tête d’article : Les pétroglyphes aborigènes sont les témoins remarquables d’un monde ancestral, Marius Fenger, CC BY-SA
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