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Le Chili pleure Cristina Calderón, mémoire de la langue yagan

Née en 1928 sur l’île de Navarino, dans le quartier de Bahía Róbalo, Doña Cristina Calderón Harban nous a quitté le 16 février dernier, à quatre-vingt-treize ans. Orpheline à l’âge de six ans, et témoin de l’effondrement culturel et matériel de la culture ancestrale Yámana, elle était la dernière à connaitre parfaitement la langue de ses ancêtres. En 2009, elle avait été reconnue, par l’État chilien et l’UNESCO : « trésor humain vivant » pour son rôle dans la préservation et la transmission de la langue et des traditions de son peuple. Cristina avait également été nominée parmi les 50 femmes protagonistes du Bicentenaire de la République du Chili.

◆ Dernière locutrice native
« Quand ma sœur Ursula est décédée, je suis restée seule, sans personne à qui parler » avait déclaré Cristina Calderón, en avril 2003. La langue yámana, qui n’était plus parlée que par une seule personne, comptait 32 400 mots. Le mode de vie de ce peuple avait, en effet, généré une vision du monde avec des détails et des nuances impensables pour nous. Le mot yámana : mamihlapinatapai, est, selon le livre Guinness des records, le plus concis au monde. Il signifie « un regard entre deux personnes, attendant chacune que l’autre fasse quelque chose qu’elles veulent toutes les deux mais qu’aucune n’ose commencer ». Charles Darwin avait écrit dans son journal, en 1832 : « Je crois que si vous cherchiez dans le monde entier, vous ne trouveriez pas un degré inférieur d’humanité », il était loin de saisir l’infinie subtilité de ce peuple et de sa langue ! À l’arrivée des Européens au 19e siècle, il y avait trois mille indigènes, cinquante ans plus tard il en restait cent trente. À neuf ans, Cristina avait appris l’espagnol, mais la langue yámana était encore très présente puis, au fil du temps, les enfants ne souhaitèrent plus l’apprendre, parce qu’ils avaient honte que les « blancs » se moquent d’eux.


Une cérémonie d’initiation à Čiaxaus, Bahía Mejillones, 1922. La photo montre, entre autres, le père de Cristina Calderón, l’homme debout à l’extrême droite de la photographie, et sa marraine Gertie, assise à sa droite. Photo : Martin Gusinde, 1922

◆ Un « trésor » de grand-mère
Connue par tous sous le nom d’Abuela (grand-mère, en espagnol), Cristina avait été reconnue par l’État chilien, en 2009, comme un « trésor humain vivant » après la mort de sa sœur Ursula. Sa petite-fille, Cristina Zárraga, a raconté son histoire dans le livre « Cristina Calderón : Memorias de mi abuela yagan », et décrit à quel point son existence a été marquée par la colonisation. Jusqu’aux années 60, elle a habité entre le canal de Beagle, l’Argentine puis le Chili. Ensuite, elle a vécu l’arrivée de la dictature du général Pinochet et l’accroissement des tensions avec l’Argentine pour l’accès à l’Antarctique. « En écoutant l’histoire de ma grand-mère, l’histoire de ses parents, à cette époque et plus loin, nous avons une idée palpable de l’effondrement culturel que les Yagan ont subi à cause de l’arrivée des Blancs – les chercheurs d’or, les chasseurs d’otaries, les missionnaires, et plus tard les Chiliens et les Argentins – qui se sont appropriés et se sont partagés ces terres qui ne leur appartenaient même pas. Perdre leurs racines culturelles, leur langue, leurs traditions culturelles et leur liberté, être envahis par des épidémies et des coutumes totalement étrangères à leur nature, comme l’alcool, tout cela a entraîné le déclin et l’effondrement de leur culture. Leur force spirituelle, qui les avait liés à la nature et à Dieu, a rapidement commencé à décliner, et ainsi ils ont perdu leur identité », relate-t-elle. Sa petite-fille a également publié un second livre, écrit en collaboration avec sa chère Cristina-abuela, intitulé  Hai Kur Mamašu Shis (Je veux vous raconter une histoire) composé d’histoires et de légendes yagans afin de les faire perdurer.


La relève assurée
Sa fille, Lidia González Calderón, vice-présidente adjointe de l’Assemblée constituante du Chili depuis le 6 janvier 2022, est la digne représentante des communautés Yagan. Elle jouera un rôle important dans l’écriture de la nouvelle Constitution, grâce à laquelle les peuples autochtones espèrent que l’État chilien leur reconnaitra finalement des droits fondamentaux que cinq siècles de colonisation leur ont retiré. « Ma mère, Cristina Calderon, est décédée. Je suis profondément attristée de ne pas avoir été avec elle au moment de son départ. C’est une triste nouvelle pour les Yagans », a-t-elle écrit sur son compte Twitter« Tout le travail que j’accomplis actuellement, je le fais en son nom », a-t-elle précisé.

Robert Lechêne a écrit, peu avant sa mort : « Quand Cristina Calderón s’éteindra et sera conduite au cimetière ancestral de la baie Mejillones, les télévisions de tous pays en diffuseront des images. À la différence de celle des Aushs, des Onas et des Alakalufs, la fin génétique des Yaghans ne sera pas une disparition mais un évènement d’audience mondiale. L’humanité saura qu’elle aura perdu une part d’elle-même, minuscule, mais depuis six mille ans la plus résolue à exister dans la plus inhumaine extrémité du globe ».

La Communauté Indigène Yagan Bahía Mejillones lui a rendu un très bel hommage mardi dernier, via une vidéo sur Facebook.

Jessica Baucher


Photographie en tête d’article ©Martin Bernetti /AFP

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